Diversité et 360° de la dynamique de la confiance (épisode 3)
J’ai souvent été conviée à des évènements d’entreprises afin de m’exprimer sur un sujet qui me tient à cœur la diversité. Je voudrais vous partager une de mes expériences dans ce domaine.
Je n’ai jamais fait partie d’un Network féminin ou programme de « Talents ». Atypique, je voulais absolument éviter d’entretenir l’idée communément admise par certains messieurs que nous échangions des bons plans, des recettes de cuisine pour ne pas craquer au boulot et être moins émotives par exemple. Et justement cela m’emmène à la question du « Vivre mes émotions en entreprise ».
Mon 360° de la dynamique de la confiance.
Malgré les préjugés, Dieu merci les mentalités ont bien évolué, ce sont des managers hommes qui m’ont fait confiance et m’ont porté vers le dépassement de soi et une meilleure compréhension de mes capacités et le développement de mes compétences.
L’inconnu prend pour moi des formes multiples : j’ai occupé de nombreux postes où il fallait reconstruire et surtout tout créer, le poste, la stratégie, recruter les équipes ou les former vers un nouveau métier, sensibiliser aux nouveaux enjeux… Dans tous les cas atteindre des objectifs business / faire coopérer des personnes pour atteindre ces objectifs comme dans beaucoup de métiers finalement.
Quels sont les mécanismes que j’ai pu décrypter avec mes équipes, mes pairs et ma hiérarchie ? C’est un jeu à 360°, tout est lié… ces relations s’enrichissent et complexifient davantage le jeu de la confiance et la coopération qui en découle.
Épisode 1 – La confiance avec les membres de mon équipe
Épisode 2 – La confiance avec mes managers
La confiance avec mes pairs
Les différences de perception facteur de fragilisation de la confiance
Dans le cadre de projets avec des interlocuteurs d’autres services, des experts dans d’autres domaines de compétences, la mise en relation est parfois tronquée, faute de temps et les personnes avancent directement dans les étapes de mise en place d’un échéancier global du projet, découpage en actions et la répartition des actions entre les protagonistes du projet. En tant que le chef(fe) de projet, notre rôle est d’être le(la) chef(fe) d’orchestre des opérations.
Lors d’un projet évènementiel, j’ai dû pallier la défaillance d’une partie prenante, la non-réalisation d’une tâche qui lui incombait. Faute de temps pour trouver une solution avec elle sans compromettre la réalisation totale du projet, j’ai cédé à la tentation d’absorber moi-même la charge de travail supplémentaire et l’ai également répartie sur les autres membres de mon équipe. Cette frustration a occasionné chez moi la perte de confiance envers cet interlocuteur. Ainsi, je vérifiais régulièrement ses avancées opérationnelles en ayant un comportement plus interventionniste pour anticiper une éventuelle autre défaillance et me protéger en développant différents scenarii. Je n’avais pas le temps nécessaire à une prise de recul et cette situation a été extrêmement pénible à vivre, à la fois pour moi et, je le sais aujourd’hui, pour mon interlocuteur.
Ainsi, une évaluation mal estimée de la confiance que l’autre me porte et inversement, a été la source de problèmes dans le cadre de la réalisation de ce projet.
Ce facteur a été couplé avec des erreurs réciproques dans l’action : celles pour mon interlocuteur de croire qu’il agissait de coopération et que je me comportais de façon agressive en lui demandant les livrables dans les délais ; et pour moi de croire que cette personne disposait des ressources nécessaires pour faire ses réalisations dans les temps. Les stratégies mises en place à la séquence suivante ont été ainsi inadaptées, occasionnant davantage de dégâts dans la relation de confiance déjà bien entamée.
Mauvaise sélection d’informations, confusion dans le passage à l’acte, évaluation partielle ou partiale de la situation et des confidences réciproques = expliquant la construction de représentations erronées de l’interaction. En début de projet, il y a eu défaut dans le partage et la construction des règles du jeu et la confrontation avec notre propre représentation et celle de nos pairs. Ceci a abouti à fragiliser la confiance.
Les émotions, outils avec notice, pour surmonter les obstacles ou reconstruire la confiance.
Entreprise et émotions – antinomie a priori ! Nous avons en tant que femmes la réputation d’être plus émotives… personnellement je le suis, j’avoue je suis très « dans le cœur » et engagée, et cela n’a pas toujours été facile à gérer.
Notre capacité à diagnostiquer notre propre état émotionnel permet à nos émotions de servir d’outil de communication et générer l’écoute. Personne ne peut remettre en cause ce que nous ressentons.
Verbaliser ses émotions pour reconstruire la confiance
Le langage émotionnel en environnement professionnel était pour moi une langue étrangère. Encore plus en tant que femme. Une femme qui exprime ses émotions dans un environnement professionnel est très souvent cataloguée. Notre éducation même nous pousse à masquer notre ressenti et faire « bonne figure » face à un évènement générateur d’émotion. La peur est grande ainsi de passer pour une personne « émotive » avec toutes les connotations dérivées de ce qualificatif.
Pourtant, en l’expérimentant, j’ai pu m’apercevoir de la puissance de cet « outil ». La première constatation toute simple est le premier sentiment de délivrance que peut procurer cette verbalisation. Déchargée de ce poids, nous entrons dans de meilleures dispositions pour écouter l’autre, accueillir ses arguments, objectiver la situation et faire un bilan plus juste des mécanismes mis en place et de leurs conséquences.
Il permet de sortir du jugement, une émotion ressentie ne peut être remise en cause, permet l’adhésion, de se mettre en résonnance et ainsi travailler sur l’émotionnel. Mon premier travail a été de pouvoir entrer en contact avec mes émotions pour les décrypter, les nommer. Sans vouloir les dompter, j’apprends à mieux les maîtriser. L’émotion la plus fréquente que je ressentais était l’impatience qui donnait place à la frustration de ne plus avancer.
Verbaliser ses émotions pour surmonter un obstacle : avoir une issue réellement ciblée et satisfaisante.
Lors d’une réunion de brainstorming avec des partenaires internes de plusieurs services pour la construction d’un outil de communication et de Knowledge Management. Ils avaient des intérêts multiples et très différents et je devais garantir une cohérence à l’outil et garder une cohésion entre les membres du groupe. Il s’agissait d’interlocuteurs avec beaucoup de hauteur de vue mais aussi d’esprit critique.
Lors de cet atelier créatif les attentes et idées étaient très nombreuses avec des degrés de granularité des informations utiles importants. Au milieu de la séance, un interlocuteur pour qui j’ai un profond respect, sentant que sa vision du besoin n’allait peut-être pas donner naissance à la solution qu’il espérait voir appliquée pour tous, a exprimé sa colère et sa frustration, son sentiment d’avoir été « trahi » par la non prise en compte de son besoin spécifique. A cet instant, je perds tout l’auditoire. Au lieu de coopérer, ils se taisent et se tournent vers moi… Imaginez le chao … la pression ressentie… les relations semblent rompues en un instant.
Je prends quelques secondes qui m’ont paru une éternité et je me retourne vers le tableau, où toutes les idées déjà évoquées étaient consignées. Et là, « Bingo » je propose à mon auditoire une solution alternative pour élargir ensemble le champ des possibles. Cet atelier créatif a donné naissance à un superbe magazine international interne visant à renforcer le sentiment d’appartenance dans tous nos services à travers le monde et mettre en avant leurs best practices et leurs spécificités.
Ce qui m’a sauvé ? Accueillir cette vive émotion de surprise, de désarroi, d’impuissance. La verbalisation de ces émotions, la reconnaissance que j’avais raté quelque chose en amont de cet atelier et surtout l’absence d’ego. A quoi bon garder la face quand on a perdu sa tête !
Cette communication non violente nécessite parfois d’attendre pour être efficace. Oui la confiance peut renaître s’il ne s’agit pas d’une situation perverse ou d’imposture.
Verbaliser ses émotions oui, mais dans le bon timing. Déjà parce qu’une émotion est parfois trop profonde pour être verbalisée et risque de nous mettre en situation difficile pour l’exprimer de manière intelligible, c’est-à-dire avec une recherche de sens transmissible. Ainsi, il est souhaitable d’attendre qu’elle soit moins vive afin de l’exprimer clairement.
La verbalisation a posteriori laisse un temps d’incubation si l’évènement a provoqué une vive émotion, voire la naissance d’un conflit. En effet, elle permet de ne plus être dans le ressenti, d’avoir une lecture plus objective des évènements, de prendre plus en considération les arguments, accueillir les informations de l’autre, même de lui donner raison sur tout ou partie du sujet parfois. Elle permet ainsi une meilleure compréhension mutuelle et de retravailler ensemble, générant un cercle vertueux et instaurant de nouvelles règles du jeu partagées, plus sures pour une future collaboration.
Reconstruire la confiance perdue. Redonner du sens après colère, peur, impuissance…
À la suite d’une rupture de confiance lors d’un projet évènementiel commun à deux services, dans lequel les représentations étaient erronées, le partage d’informations tronqué, et qui avait donné lieu à de nombreuses frustrations mutuelles. Je n’avais vraiment pas envie de recroiser cette personne sur un autre projet. Je me sentais trahie, dégoûtée, frustrée… En effet, ce fameux projet qui avait cumulé tous les faux-pas.
Pour ne pas sortir totalement perdante de cette situation, j’ai souhaité faire un point, un bilan avec cette personne afin de tenter de reconstruire la relation de confiance. Après tout, perdu pour perdu, je ne risquais pas grand-chose…
Même si j’avais de grandes interrogations sur cette possibilité, pour ne jamais l’avoir vécue, j’ai pris le parti de me mettre dans un état d’esprit positif et de verbaliser mes émotions en précisant bien les faits, en effectuant des constats, insistant sur le sentiment de frustration, voire de colère que j’avais pu ressentir et formuler mon besoin de clarification sur les vraies contraintes rencontrées par mon interlocuteur et lui demander de l’aide, d’obtenir un vrai échange d’information en amont à l’avenir, ce qui m’avait cruellement fait défaut. Contre toutes attentes, ce mécanisme a provoqué chez mon interlocuteur un vrai soulagement, car il a, à son tour, verbalisé ses émotions et nous avons enfin pu nous comprendre, a posteriori. La verbalisation de nos émotions nous a redonné confiance l’un en l’autre.
Je me suis mise dans un état d’esprit positif avant d’aller à ce rendez-vous en acceptant de me laisser surprendre par mon interlocuteur de manière favorable et le bénéfice en a été que plus grand. Nous avons effectué ensemble une meilleure « mise en absence » du projet (par opposition à la mise en relation au début du projet) qu’une entrée en relation ! Ceci nous a permis d’échanger depuis plus régulièrement et plus « gratuitement » en l’absence de tout projet commun, ce qui nous permet d’anticiper les sujets à interactions et de s’informer mutuellement des possibles impacts sur nos sujets respectifs. J’ai enfin pu répondre à une grande question, la confiance se reconstruit malgré l’échec, lequel a renforcé notre acuité à l’autre. Nous sommes devenues plus sensibles à l’autre et avons dépassé en définitive la réaction de rejet de l’autre. Du « je ne souhaite plus travailler avec l’autre », je suis passée à « je sais à présent comment travailler avec cette personne », la démarche est constructive.
Lors d’une présentation plénière devant un parterre de 250 professionnels des Ressources Humaines, au lendemain d’une situation de crise avec un collaborateur en situation de handicap en dépression, je dois effectuer une présentation de sensibilisation sur le sujet du maintien dans l’emploi et les rôles et responsabilités de chacun.
Cette présentation est une belle opportunité de faire avancer le sujet mais je suis très en colère… En effet, suite à l’appel de ce collaborateur, je suis confrontée à 24h de silence… RH, Managers, Famille, Police, Pompiers nous sommes tous sur le pont mais je découvre qu’il a été mis au banc, ses difficultés minimisées. Heureusement, rien de grave, il a pris ce temps pour s’isoler et souffler. Mais que faire de cette colère, de cette frustration ? J’ai envie d’hurler.
J’ai véritablement mis « mes tripes » dans cette présentation, j’ai parlé avec mon cœur et donné à voir notre responsabilité commune face aux collaborateurs que nous sommes censés représenter, protéger d’une certaine manière … nous sommes des personnes et nous avons tous une part de vulnérabilité. Cette présentation a eu un écho durable au sein de cette communauté d’experts juste par la conviction du message.
Je voudrais conclure avec cet enseignement très personnel. A travers la relation de confiance à 360°, je me suis fait le relais, la courroie de transmission d’une énergie créatrice du vivant de l’entreprise, composée d’hommes et de femmes, d’horizons différents avec des histoires riches, complexes.
- la capter de sa hiérarchie, de ses interlocuteurs,
- la porter afin d’entrer en résonance avec elle, pour la faire sienne,
- la diffuser, l’inoculer et la faire grandir.
La confiance est source de joie au travail, de plaisir partagé, elle atténue les peurs et décuple nos compétences, notre acuité au vivant de nos organisations et de notre écosystème, puisqu’au-delà des dossiers, des processus, des réalisations, des délais, nous avons avant tous à faire face à toutes les dialogiques constitutives de notre être.
Nous sommes à la fois,
- uniques dans une humanité commune,
- dotés de capacités d’actions et défaillants,
- libres et soumis à de multiples contraintes,
- autonomes et dans un réseau de dépendances,
- communiquant dont l’essentiel est incommunicable,
- sociables et individualistes,
- dotés de capacités d’apprentissage et de mémoire,
- sujets à l’erreur et à l’oubli,
- nous aspirons à aimer et être aimés et sommes aspirés par de multiples conflits.
Le point de départ n’est-il pas alors de chercher à se connaître en connaissant l’autre, en confrontant nos limites réciproques, et surtout d’accepter simplement d’ETRE, de vivre et reconnaitre ses émotions pour prendre confiance en la vie, en nous pour TRANSMETTRE, partager, être le catalyseur de confiance et mettre en lumière la compétence, l’étincelle déjà présente chez l’autre.
… j’ai mis la conviction qu’il fallait pour que la confiance se diffuse, comme une main tendue vers l’autre. Mais ce n’est qu’un début et je dois au quotidien travailler avec les personnes qui m’entourent pour garder ce « capital confiance » en toutes circonstances et l’accroître.
Aujourd’hui j’ai fait de ces expériences une force pour relier emploi, management inclusif pour tous au cœur du business et de la performance et pas à côté, en pro bono, en « non-profit », par philanthropie : il s’agit d’aller vers une logique de Retour sur Investissement (ROI) social du modèle des entreprises, comme l’ont déjà initié les entreprises de l’économie sociale et solidaire, ces entreprises inclusives.
Il n’y a pas de vie minuscule
Charles Gardou (Anthropologue, Professeur à Sciences Po. Paris et à l’Université de Lyon 2) dans son ouvrage « La société inclusive. Parlons-en !
Alors, vivez, soyez libres et vous-mêmes et partagez cette richesse dans vos organisations respectives, j’espère que ce partage d’expérience sera porteur de sens en vous, acceptez d’être surpris par l’Autre.
Cela peut aussi bien se passer !