Et si nous réhabilitions les «vaches à lait»

Et si nous réhabilitions les «vaches à lait»

Le 28 juin 2021 à 21h00, je me suis retrouvée devant un poste de télévision, sur territoire français, entourée de… Français. Inutile de vous dire que la seule pensée qui m’habitait en début de soirée, c’était l’espoir que la Nati « limiterait les dégâts » face aux champions du monde. En trois heures, les (télé)spectateurs (dont moi-même) sont passés, dans les deux camps, par toutes les émotions possibles ; en particulier à 30 secondes de la fin du temps réglementaire, lorsque la Suisse a égalisé, après avoir été menée 3 buts à 1. 

Mais l’objectif ici n’est pas de refaire le match. Loin de moi l’idée de retourner le couteau dans les plumes du coq français, surtout quand ce dernier vient enfin de redresser sa crête en gagnant la Ligue des Nations. Et puis, on le sait bien, la victoire se joue souvent à… une plume.

Le but (sans jeu de mot) est de faire le parallèle avec le monde du travail, tant ce match fut caricatural.

D’un côté des stars, de l’autre des… «vaches à lait».

Dans une entreprise, vous avez plusieurs typologies de collaborateurs: ceux qui débutent et qui nécessitent beaucoup d’accompagnement pour un retour sur investissement encore aléatoire, ceux qui sont les locomotives et qui «sortent du lot» par leur aura et leur talent, ceux qui connaissent le job et qui font tourner la boîte et ceux dont vous rêvez de vous débarrasser (professionnellement parlant). En résumé: les débutants, les stars, les vaches à lait et les canards boiteux (application en GRH de la matrice marketing du Boston Consulting Group élaborée dans les années 60, la terminologie «vache à lait» étant celle utilisée dans cette matrice, que je ne fais que retranscrire…). 

Dans un match de foot, seules deux catégories sont sur le terrain: les stars et les vaches à lait. Les deux autres restent sur le banc de touche, pour des raisons assez évidentes.

Dans une entreprise, les vaches à lait sont indispensables à son fonctionnement

Ce jour-là, la victoire de la Suisse était celle des vaches à lait sur les stars. L’équipe suisse s’est montrée résistante (voire même résiliente), soudée, courageuse, opportuniste et remettant constamment l’ouvrage sur le métier sans jamais désespérer. Les stars françaises ont eu des traits de génie, contrebalancés par de longues périodes bien plus instables et une faible cohésion d’équipe.

Ce jour-là aussi, l’équipe suisse a validé le principe de base de la théorie systémique: «le tout est plus que la somme des parties».

Dans une entreprise, il faut de tout: l’incertitude du débutant, le dynamisme et le brillant des stars, la solidité et la performance des vaches à lait et même, mais pas trop, l’étalon de valeur des canards boiteux, ne serait-ce que pour avoir l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire (ou pas devenir). Et, si on a de la chance, on est tous, à un moment ou à un autre et en fonction du poste que l’on occupe, des débutants, des stars, des vaches à lait et même des canards boiteux. Rien n’est acquis ni irréversible et j’ai vu des canards boiteux devenir des cygnes magnifiques.

Mais ce que l’on oublie souvent dans nos entreprises, c’est que si l’on veut durer et progresser sur un marché, quel qu’il soit, il faut une grande majorité de vaches à lait parmi les collaborateurs. Les débutants et les canards boiteux sont coûteux. Les stars sont éphémères, au même titre que les étoiles filantes, et prennent beaucoup de temps pour un résultat de courte durée, sauf si on arrive à les faire transhumer vers le statut de vaches à lait. 

Cette nécessité entrepreneuriale est peu valorisée, les vaches à lait faisant en général moins de bruit que les trois autres catégories. Et pourtant, ce sont ces collaborateurs compétents, performants, «rentables», partageant les mêmes valeurs, qui font vivre l’entreprise et qui sont capables de faire passer l’intérêt de l’institution avant leur intérêt personnel. Dans une période de réorganisation, c’est d’ailleurs sur ceux-là, ces piliers, que l’entreprise s’appuiera pour réussir le processus de changement. 

Le besoin de reconnaissance est devenu l’un des principaux moteurs de la motivation des collaborateurs et donc un thème central en gestion des ressources humaines. Or, c’est en premier envers les «vaches à lait» que la reconnaissance de l’employeur devrait s’exprimer. Les débutants ne la méritent pas encore, les canards boiteux ne la méritent plus. Quant aux stars, ne vous faites pas d’illusion, elles n’en recevront jamais assez, quoi que vous fassiez.

Et vous, au moment où vous lisez cette article, quel rôle avez-vous envie de jouer dans cette «Animal Farm»?

La balle, ou en l’occurrence le ballon, est dans votre camp. Bonne réflexion!

ISABELLE GESSLER
DIRECTRICE ADJOINTE
CLINIQUE ROMANDE DE RÉADAPTATION