La controverse, une chance pour faire évoluer le monde du travail?

La controverse, une chance pour faire évoluer le monde du travail?

Qui n’a pas participé d’une façon ou d’une autre à la controverse de l’été: faut-il ou pas se faire vacciner? Notre propos est de partir du débat autour de la vaccination anti-covid, pour émettre un point de vue sur l’art de la controverse, et d’en tirer l’un ou l’autre enseignement sur ses bénéfices et ses pièges, et sur son potentiel dans le monde du travail.

Qu’est-ce qu’une controverse?

Larousse définit la controverse comme «une discussion suivie sur une question, motivée par des opinions ou des interprétations divergentes». Elle émane d’une question technique, sans réponse évidente, qui évolue souvent en débat dans l’espace public.

L’opinion est amenée à se prononcer pour aider à trancher et faire émerger la meilleure solution possible. Une controverse bien menée devrait donc aboutir à la formation de nouvelles solutions: à une 3ème voie.

A ma gauche, les pro-vaccins: «Il faut sortir de cette série de confinements, de ralentissement de l’activité économique et de risque de surcharge des hôpitaux, et éviter de nombreux décès de personnes fragiles». A ma droite, les anti-vax: «Nous n’allons pas à l’échelle mondiale injecter dans le corps humain un produit dont nous ne savons pas ce qu’il pourra produire comme effet à long terme, et risquer la survie de l’humanité pour quelques décès de personnes fragiles…». Et le débat tourne au rapport de force, à la foire d’empoigne.

Qu’est-ce qui explique cela? La controverse déstabilise, les scientifiques sont défiés dans leurs compétences, mis en difficulté par le débat. La controverse est bien sûr alimentée (bien que les deux parties s’en défendent) par de nombreuses peurs. Une des peurs fondamentales de l’être humain, selon le philosophe Franck Lopvet, est la peur du néant, de n’être rien. Pour combler cette peur du vide, nous cherchons à nous construire rapidement, à forger nos opinions et croyances et vision du monde. Elles nous rassurent et chacune de nos expériences vient consolider notre version de la réalité. Il est donc difficile pour chacune des parties de la controverse de réaliser que ce qu’ils croient est à la fois vrai et faux.

Renoncer à une partie de ces croyances bien ancrées implique de se rapprocher du «néant». Cela génère des émotions qui viennent envenimer le débat, rigidifier les positions et empêcher l’émergence d’une 3ème voie; une voie qui pourrait permettre à la fois de limiter l’impact humain et économique de la pandémie, de respecter les choix individuels et de consolider les liens sociaux dans l’adversité. Est-ce possible? Ne sommes-nous pas de joyeux bisounours qui aimeraient voir de l’harmonie partout? Alors quelles sont les conditions pour faire émerger de l’intelligence collective?

Il est nécessaire tout d’abord que les parties se connectent à un enjeu qui dépasse l’individu, qui dépasse le présent. En entreprise, c’est se rappeler par exemple de la vision et de la mission que l’on poursuit.

C’est ensuite accepter la différence de point de vue, et la percevoir comme une force. Cela implique aussi d’accepter tout ce qui survient que cela fasse sens ou pas. C’est savoir prendre du recul, se mettre en marge du système et l’observer, sans a priori, en restant convaincu que la 3ème voie existe.

Lâcher prise

Cela sous-entend aussi de ne pas s’accrocher à son idée, au processus convenu, à ses attentes, et lâcher prise. Ce lâcher-prise est souvent plus génératif que s’entêter. Il est aussi important d’accepter l’incertitude, de ne pas directement vouloir amener une solution à tout immédiatement pour permettre l’émergence de l’inattendu. Lorsqu’un journaliste demanda un jour à Golda Meir, première ministre d’Israël, dont les décisions sur le plan militaire avaient d’énormes impacts humains, comment faisait-elle pour prendre ses décisions, elle répondit: «je me connecte à mon arrière grand-mère déjà décédée depuis 50 ans et à mon arrière-petite-fille qui n’est pas encore née… Et là je me sens alignée avec ce que je dois décider». Ces disciplines sont indispensables dans le monde complexe dans lequel nous évoluons, où personne ne peut prétendre détenir la vérité, pour faire émerger la 3ème voie, l’idée géniale, disruptive, la stratégie qui va faire la différence… C’est cela l’intelligence collective. A bon entendeur.

PHILIPPE VANEBERG
CAROLE WARLOP