L’article venu du futur : vivre un processus de recrutement dans une organisation en gouvernance partagée
Un nombre croissant d’entreprises et organisations passent en gouvernance partagée. Une lame de fond, encore peu relayée dans les media, mais bien réelle et qui touche aussi bien des entreprises cotées en Bourse que des associations, PME, ou multinationales. Tous les domaines économiques sont représentés, jusqu’aux environnements de production pourtant traditionnellement très hiérarchisés. On y trouve même des écoles et des établissements de santé. Mais que signifie gouvernance partagée ou autogouvernance ?
Il s’agit une organisation qui a supprimé sa structure hiérarchique pour passer à un mode de management en intelligence collective. C’est-à-dire réalisé un saut quantique en passant d’une hiérarchie classique à une multiplicité de hiérarchies naturelles organisées autour de groupes de travail, unités ou pôles parallèle ou emboîtés… sans chef, sans manager, sans encadrement intermédiaire ! Attention, cela ne veut pas dire que tout le monde y travaille sur un pied d’égalité, à salaire égal, ni même que l’ensemble des collaborateurs participe à chacune des décisions. Il s’agit plutôt d’une structure intelligente qui distribue l’autorité à des groupes de personnes choisies pour leur expertise dans des unités souvent pluridisciplinaires. Les décisions y sont prises de manière consultative. L’objectif de cet article n’étant pas de vous faire un exposé sur la gouvernance partagée[1], allons maintenant voir les implications sur le parcours d’un candidat en processus de recrutement !
Premier constat, premier pavé dans la mare ! Les organisations fonctionnant en gouvernance distribuée ont réduit au minimum, voire carrément supprimé les fonctions de support traditionnelles, aux premières loges les RH, l’administration, le marketing ou encore la communication. Si elles bien entendu des spécialistes RH (qui peuvent aussi porter une autre casquette) chargés de sortir des salaires, rédiger des contrats de travail, elles n’ont en revanche la plupart du temps de département RH traditionnel « chargé de mission » pour piloter et gérer les recrutements.
Alors qui recrute ? Eh bien les personnes qui devront « vivre avec » la nouvelle recrue ! Chaque entreprise va, selon ses besoins et son organisation, mandater un cercle de collaborateurs en charge du recrutement, de la communication de l’ouverture du poste à la prise de décision finale, mais avec des rôles et des responsabilités variables suivant leur domaine d’expertise et les prestations qu’ils peuvent offrir dans le processus du recrutement. La règle du jeu fondamentale ? Chaque collaborateur qui sera personnellement impliqué à collaborer avec la nouvelle recrue doit participer au processus d’interview : la prise de décision se fera de manière collégiale, sous forme de sollicitation d’avis.
Comment ça fonctionne concrètement ? Pour une entreprise en gouvernance partagée, le processus de recrutement est l’occasion idéale pour le candidat d’examiner à fond si et comment le projet de l’entreprise est aligné avec sa vocation et ses aspirations personnelles. Vous l’avez compris : vous ne serez pas reçu par un spécialiste RH (rompu aux techniques d’entretien) mais par les futurs collègues, qui sont simplement là pour vérifier s’ils ont bien envie de travailler avec vous. Les salariés n’ont pas d’objectif de recrutement à atteindre, ni de marque employeur à défendre : ils tiennent un discours très franc sur leur cadre de travail ! Eh oui : s’ils vous survendent l’entreprise, c’est eux qui devront en supporter les conséquences ! Alors profitez-en : posez un maximum de questions sur le quotidien, le cadre, la raison d’être des collaborateurs au travail !
Si les collègues qui reçoivent les candidats tendent à dire la vérité sur la société, par effet miroir, les candidats se sentent aussi invités à se montrer honnêtes. Et ce n’est pas un détail, car l’attitude du candidat est pour ces entreprises tout aussi importante (voire plus !) que ses compétences et son expérience.
Le candidat est-il motivé par les valeurs et la raison d’être de l’entreprise ? S’épanouira-t-il dans un environnement de travail autonome ? S’intégrera-t-il aisément ? Les salariés veulent avoir affaire à la vraie personne et non pas au candidat qui donne toutes faites les réponses que l’on attend de lui. L’authenticité est donc de mise, d’autant plus que si, comme moi, vous avez été interviewé par pas moins de 8 personnes différentes en l’espace d’une demi-journée. Vos moindres défauts seront vus et scrutés, alors tombez le masque : soyez franc, consistant, cohérent !
Autre point important, vous risquez d’être interviewé par un large panel de fonctions qui seront amenées à travailler avec la future recrue. Ne soyez donc pas étonné de traverser plusieurs entretiens collectifs, mixant des fonctions de votre niveau de responsabilité, mais également des fonctions hiérarchiquement « inférieures » à la vôtre. Si vous êtes cadre, l’avis de la collaboratrice administrative qui vous interviewera pèsera probablement tout autant que celui des personnes occupant des fonctions à responsabilité !
Un dernier conseil ? Ce type de processus de recrutement sans langue de bois est très plaisant à vivre, mais soyez endurant ! Vous avez de bonnes chances, comme je l’ai vécu, de traverser une demi-journée complète d’entretiens avec divers groupes de collaborateurs, sur des thématiques tout aussi variées que mission, valeurs, motivations, compétences transversales, votre capacité à concilier les enjeux de votre poste et la vision stratégique de l’entreprise, vos différentes missions vis-à-vis des différents collaborateurs avec qui vous serez amené à travailler… et j’en passe ! Soyez concentré, mais lâchez prise et faites-vous confiance, car le fait de passer face à tant de groupes différents est fatigant et vous mènera automatiquement à baisser la garde, pour votre plus grand bien : c’est ce qui est attendu de vous ! Alors parlez franc, parlez vrai ! Face à tant de personnes venant de l’opérationnel, un blabla appris par cœur sur vos compétences ne fera pas illusion : donnez des exemples, posez des questions et attendez-vous à des exercices de mise en situation. Le bénéfice collatéral ? Vous ressortirez avec une vision in vivo, très concrète et vibrante de l’équipe. Le coup de foudre est fort possible et les mauvaises surprises une fois le contrat de travail signé quasiment inexistantes.
En résumé ? Vivez avec curiosité cette nouvelle expérience, prenez plaisir à parler de vous et à découvrir toutes ces personnes, potentielles futures collègues. Soyez vous-même et surtout misez vous aussi sur l’intelligence collective !
Pour Sisu Lab, Elise Oudiné & Mickaëlle Haution-Pra, juillet 2022 – www.sisulab.ch
[1] L’expert francophone en matière de gouvernance partagée est Frédéric LALOUX, auteur de 2 ouvrages de référence publiés aux éditions Diateino (dont un résumé illustré) et de nombreuses conférences très vivantes et pédagogiques que je vous invite chaleureusement à écouter sur Youtube