Le régime LEAN pour tous ?

Le régime LEAN pour tous ?

C’est l’été, alors j’ai pris le parti vraiment décalé de vous parler du Lean Management et de la crise en me livrant à un exercice de style particulier, façon Biba Magazine … Loin de moins les clichés mais le sujet pas très « sexy » méritait bien un peu d’humour. Amis de la diversité, nous sommes évidemment en phase.

Alors le lean c’est vraiment la garantie pour être la plus belle entreprise de la place cet été ?

Il était entendu que les canons de la beauté managériale et industrielle étaient lean, canons en fait pas très éloignés des standards de la mode qui flirtent avec l’anorexie. L’industrie si elle n’est pas convertie à sa version 4.0 ou au six sigma est prétendument vouée à l’obsolescence instantanée. Ne pas être lean, c’est dévoiler sa ringardise tout en exposant une silhouette industrielle qui se laisse aller. Dans ce numéro, nous avons repéré pour vous les meilleurs régimes lean, les recettes secrètes des stars et nos conseils beauté pour un management glossy mais éthique.

Point de bifidus ni de jeûne forcé, mais un cocktail d’ingrédients que nous vous livrons ci-dessous. Pour être bien dans son corps il faut être bien dans sa tête et bonne nouvelle, le lean c’est aussi une philosophie.

Il n’y a rien de plus inutile que de faire efficacement ce qui ne devrait pas être fait du tout, disait Peter Drucker.

Une phrase pleine de bon sens et qui reste une inspiration première pour tous les experts du lean management. La théorie du lean est parée de toutes les vertus et reconnaissons-le, beaucoup de grands succès industriels en sont souvent l’aboutissement. Cette méthodologie apparue dans les années 50 -miam, nos recettes de grands-mères- au Japon dans les usines Toyota. Quelle chance ces japonaises qui gardent une silhouette industrielle de jeune start-up tout en vivant pleinement leur vie de société-mère. Le Lean a connu de régulières améliorations depuis et ce qui en fait sa force est double : le respect des humains et l’amélioration continue. En fait, on considère que l’opérateur le plus proche de la tâche est le plus à même à résoudre les problèmes dans une logique de progrès continu, en étant préalablement formé. On peut dire que c’est une école de pensée, qui est construite sur 5 piliers.

  • La valeur, qui est toujours approchée du regard du client final. Qu’est-ce qui n’ajoute pas de valeur : les pertes ou le gâchis, qu’est- ce qui ajoute de la valeur : dans les activités et pour le business.
  • La chaine de valeur, toute la cartographie des process et des étapes qui conduisent à la production d’un bien ou d’un service.
  • Les flux, tout ce qui permet au produit et à la communication de traverser l’entreprise de bout en bout de manière optimale.
  • Approche à flux tendus, réduction des inventaires au minimum et concentration sur la rapidité de la réponse aux besoins du client
  • Recherche constante de la perfection, élimination des pertes et du gâchis en se concentrant sur la valeur apportée au client final.

Maintenant vous avez ce magnifique vernis qui attirera sur vous tous les regards lorsque vous parlerez du Lean au bar de la plage en sirotant votre cocktail sans alcool. 

Une efficacité indiscutable pour des résultats visibles

Le lean management représente ce mariage idéal entre la rigueur de toutes les étapes et entre une volonté indéboulonnable de servir au client le service ou le produit au plus proche de ses attentes. C’est un processus d’esthète rigide qui aboutit à la beauté contrainte des jardins à la française ou à la rectitude des canaux d’irrigation qui ne laissent pas de place aux méandres erratiques et paresseux des cours d’eau naturels. Le lean n’est pas le champ de prédilection des poètes ou des artistes rêveurs qui s’esbaudissent devant l’harmonie du hasard et de la patine du temps. Non, le lean c’est du sérieux puisque son géniteur est un ingénieur et ses disciples majoritairement ingénieurs, sont rejoints par les financiers qui y entrevoient une convergence bienvenue avec leur quasi religieuse adoration de réduction des coûts.

Quelles sont les stars du lean et leurs secrets beauté ?

Sans grande surprise Toyota prend la première place, suivi par Ford et John Deere, pas très glamour les tracteurs, sauf si vous êtes des fans de  « l’amour est dans le pré ». Le lean est synonyme d’efficience industrielle et plus importante sera la production industrielle dans l’activité de l’entreprise plus elle bénéficiera de cette philosophie d’optimisation, de centricité client et de cette incessante remise en cause des process afin de les améliorer. Intel et FedEx figurent parmi les meilleurs élèves du lean ce qui valide la largeur du champ d’application. Non mais « allô quoi », dans les 35 premières entreprises ayant déployé le six sigma (techniques et outils pour l’amélioration des process), pas une seule entreprise de cosmétique ni de maroquinerie de luxe, heureusement que Nike est dans le top 10…

Très concrètement l’introduction du lean produit des effets bénéfiques majeurs comme par exemple chez FedEx qui possède une flotte d’avions pour dispatcher ses colis autour du globe. La maintenance régulière lourde des aéronefs s’effectue dans plus 170 centres dans le monde, un de leur site nord-américain pouvait effectuer 14 maintenances lourdes par an et après passage au lean les mêmes équipes sont passées à 30 maintenances. Le nombre d’heures / hommes est passé de plus de 31’000 à 21’000 dans le process et rappelons que les règles de l’aviation civile sont extrêmement strictes sur les protocoles d’intervention qui ne peuvent souffrir de raccourcis. L’une des méthodologies adoptées a été de tronçonner le processus complet en près de 70 étapes avec une granularité de 4 heures et le résultat est extraordinaire.

Les exemples sont légions et les transformations sont tellement impressionnantes que l’on pourrait penser à ces publicités aux suggestives photographies avant/après de ces produits miracles qui vous vantent un corps de rêve à coup de pharmacopée magique. L’obtention du corps athlétique passe par un processus très calibré : discipline, régime, discipline, exercice, discipline, en fait cela fonctionne à tous les coups si nous acceptons une révolution dans notre quotidien et sans passer par la case pharma. C’est exactement ce que le lean promet et délivre au prix d’une adoption de comportements et de méthodes drastiquement transformantes.

Attention le régime lean comporte de vrais risques

Pour faire du bien au corps (social) le régime lean doit poursuivre des objectifs clairs. Souhaite-t-on perdre de la masse salariale superflue, améliorer notre transit logistique ou bien être sous notre meilleur jour pour que Monsieur ou Madame Fusac vienne nous passer la bague au doigt pour convoler au royaume des M&A ?

C’est là que les choses se corsent, il n’y a pas une seule méthode lean, mais plutôt une quarantaine ! Et beaucoup de noms Japonais, si vous espériez le régime méditerranéen c’est râpé ce sera plutôt sushi ! Kaizen, Kainban, Endon, Gemba, Heijunka, il y a même cellular manufacturing mais alors, zéro effet contre la cellulite.

En fait pour adopter le lean, il faut changer de perspective et sortir de la croyance en un modèle universel et savoir panacher les recettes en juxtaposant les méthodes pour cibler au plus près des zones que l’on veut resculpter. C’est en fait un vrai régime flexitarien.

Quels sont les risques et comment les éviter ?

Tout d’abord il faut en parler avec un professionnel, on ne se lance pas dans le « just in time » sans avoir fait un bilan de santé. Attention aux gurus qui vous vendront leur méthode sans s’assurer en amont et en aval de la zone d’intervention que tout est sous contrôle car c’est un peu comme installer un escalator qui arrive sur une foule statique, on va vite monter pour venir s’écraser sur un process qui est bloqué.

Il y a plusieurs risques majeurs à suivre un régime lean et l’un d’eux a été dévoilé au grand jour par la crise COVID.

Le premier c’est de manquer de hauteur de vue et de confondre tactique et outils avec stratégie. C’est malheureusement la raison première d’échec des régimes lean. Au même titre que nous ne voyons que les résultats du succès en ignorant le chemin d’effort et d’abnégation des meilleurs, nous pensons qu’il suffit de n’appliquer qu’un bout d’une recette minceur pour réussir. C’est dramatique cette vision tunnel que même les plus smart d’entre nous adoptent en ne voulant écouter que ce que nos biais cognitifs nous réduisent à croire, que tout rentrera dans le petit budget beauté qu’on s’est fixé.

Nous sommes pâles de jalousie devant l’entreprise voisine qui a su optimiser sa logistique et réussir à rentrer dans une taille 36 tonnes alors que nous devons passer par le fret ferroviaire pour bouger nos 46 tonnes. Seulement nous n’avons pas eu le courage, ni surtout la vision de prendre le recul nécessaire pour accepter une remise en cause de toutes nos pratiques. Certes nous avons religieusement suivi le régime Kaizen mais en restant mollement assis à faire du binge watching des indicateurs de production tout en nous goinfrant de bonus et de rémunérations différées et sans faire de l’exercice d’engagement et motivation des équipes.

C’est classique, on ne veut pas prendre un coach qui va nous pousser au-delà de nos limites, donc nous y allons avec nos ressources limitées en volonté et en compréhension des interactions entre calories ingérées et dépenses énergétiques. On surveille ce que l’on absorbe mais sans être suffisamment motivés pour aller brûler le surplus.  

Si la tête ne veut pas débloquer le temps et le budget le lean sera un échec coûteux et peut même nous rendre terriblement malades. Bref vous avez compris si la production est seule à faire du lean, et que le marketing, les ventes et le support ne suivent pas et bien ce sera la cata pour tous.

Le deuxième risque est aussi lié à la tête, ah cette fameuse direction générale qu’est-ce qu’elle ne nous pousse pas à faire quand même !

Notre bonne copine des achats qui a bien compris que l’on voulait être sérieux avec le régime lean et bien s’occuper de toutes les fonctions a eu une super idée avec l’équipe de la finance. Elles vont nous aider à tenir nos objectifs et en plus à rester dans des tous petits prix, ça ce sont de vrais amis ! Avec les économies, on pourra refaire la déco du siège.

Alors c’est parti, on va sur Qwant, ouais c’est plus cool que Google et ça parle français, trouver les entreprises qui vendent nos produits magiques et les conseils. Je n’y crois pas, 40% d’économie sur ce que j’avais vu dans ma région, et en plus ils garantissent la livraison en 72 heures. Le lean est très exigeant, mais je suis prêt à jongler avec ces fournisseurs des quatre coins du monde. On ne stocke plus, quand on voit le prix du mètre carré ici on ne va pas s’amuser à empiler des boites, sinon je les mets où mes chaussures ?

C’est le just in time, le produit est fabriqué là où il coûte bien moins cher, puis envoyé directement à la maison et tous les autres fournisseurs qui ont été mis en sérieuse concurrence font la même chose. Tout arrive comme expliqué par le consultant et nous on n’a plus qu’à assembler le tout.

Non mais, ça ne va pas les politiciens de se faire la guerre sur les tarifs, il y a tous mes produits qui sont bloqués au port. Et puis ce n’est pas une grippette chinoise qui va mettre à mal mon modèle de lean just in time quand même ?

Bon rien n’arrive plus et le consultant est injoignable, j’ai mon shaker et un robinet en guise d’outils industriel sous la main, mais une partie des produits que je dois mélanger n’est pas arrivée. Je suis donc incapable de préparer mon cocktail. Le modèle just in time est excellent par ciel bleu et mer calme, mais c’est un accélérateur et amplificateur de chaos lorsque le vent se lève. Il existe des plans B naturellement, appelés plan de continuité de l’activité ou PCA. C’est toute une documentation, des processus et des alternatives qui ont été testées justement pour se préparer. Mais ils sont coûteux s’ils doivent être efficaces et pour des toutes petites structures ils annulent souvent les gains escomptés par la mise en place d’un lean poussé.

Le troisième risque, je le comparerais à un TOC, ces troubles obsessionnels compulsifs, où l’on vérifie 5 fois que l’on a bien fermé la porte à clé ou lorsque l’on se lave les mains 20 fois par jours (en plus des gestes barrières impératifs). Le lean c’est une culture et une obsession permanente de l’amélioration.

En soi, c’est une excellente chose de viser vers toujours plus de progrès, mais les choses peuvent déraper assez rapidement dès qu’un responsable d’un processus prend cette amélioration au pied de la lettre.  Il est facile de rentrer dans la culture lean, en coupant en julienne chaque morceau de processus et en étudiant attentivement son efficacité avec la rondelle qui la précède et la sauce qui la suit. Ainsi on peut gagner en efficacité en changeant la taille des tranches, leurs formes, l’ordre de la découpe. C’est vraiment gratifiant de maîtriser la recette du cake au chocolat que les enfants adorent et de pouvoir, grâce aux petits trucs qu’on a appris au fil du temps, le préparer deux fois plus vite.

Le Lean industriel c’est la même chose, on doit faire toujours moins de perte, encore plus de taux de qualité sur les produits et optimiser tout ce qui peut l’être. De la même façon que les myriades de formations obligatoires à la conformité ont abruti des milliers de professionnel en les rendant paranoïaques et paralysés lorsqu’une prise de risque est attendue, les formations au lean peuvent présenter des risques. Le risque de partir en vrille dans une tâche et de la découper en d’infinies tranches peu appétissantes à la recherche d’une amélioration epsilonesque.  Perdre de vue l’intégration de la tâche dans le processus et dans sa contribution à l’entreprise n’est pas un problème anodin. On va dépenser du temps et de l’argent car il y a un potentiel d’amélioration objectif, mais qui reporté à l’ensemble du processus devient totalement contreproductif. Un peu comme si vous rasiez toutes les pièces de l’appartement pour rapprocher la chambre de la salle de bain pour gagner 5 secondes pour la douche du matin. Ce sera certes plus rapide, mais le coût et les contraintes pour améliorer ce seul process sont démesurés. De nombreuses équipes se sont lancées tête baissée dans la recherche d’improbables améliorations et y ont englouti des fortunes et un temps abyssal en se laissant distraire des vrais objectifs stratégiques. Merci les formations lean qui ont juste oublié de parler de la vraie vie.

Alors lean ou pas lean ?

Je reste un adepte du lean pour les innombrables bienfaits de son traitement sur la beauté des processus industriels et les économies réalisées, une fois le processus rôdé et bien implanté.

Passer au lean est l’école de l’humilité car c’est un regard sans concession sur nos mauvaises habitudes et sur les réflexes décalés que nous nous sommes forgés au fil du temps. Le secret pour bien réussir sa recette lean c’est de s’inspirer d’Albert Einstein « Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. »

Le lean ça marche quand on fait intervenir des vrais professionnels et que l’on a l’intelligence d’écouter les conseils.

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Olivier DESLANDES
Spécialiste stratégie RH, développement des organisations et transformation. 
Membre expert Swiss HR Patrol