Les compétences post-Covid

Les compétences post-Covid

Le futur n’est pas un temps facile. Nous nous y engageons tête baissée avec la conviction qu’il s’agira d’un simple voyage d’ajustement de nos expériences et connaissances passées. Est-ce seulement un peu plus d’incertitude et beaucoup de réutilisations de nos connaissances ? Le moment est venu de se réengager dans ce monde toujours en crise après avoir observé nos propres errements. Comment accompagner ce monde qui se reconstruit avec une trompeuse apparence de familiarité ? Mais surtout quelles attitudes et compétences sont alors véritablement pertinentes dans un moment de chaos ou dans les mois qui suivent une crise majeure ?  

La première de toutes est certainement la maîtrise de la complexité.

Inspirons-nous d’Edgard Morin, l’un des pères de la pensée complexe. Complexe, au sens latin du mot « complexus », « ce qui est tissé ensemble ».  En fait nos entreprises et les humains qui décident de leurs destinées ont trop appris à séparer les thématiques. Nous l’observons de nos études qui nous forcent précocement à choisir une voie scientifique ou littéraire, jusqu’à la structuration des organisations par métiers qui construisent des silos où la réflexion se verticalise. En acceptant de ne pas survaloriser sa propre connaissance et de la placer au-dessus des autres, il devient possible de comprendre et d’anticiper le monde en reliant de manière systémique les parties. C’est l’aptitude à comprendre que le tout n’est pas l’exacte somme des parties. Il peut être plus selon les qualités qui émergeront et interagiront les unes avec les autres mais il peut être moins par la simple inhibition de certaines forces, par le fait qu’elles se dégradent en étant mises ensemble. L’exemple le plus classique est celui du dirigeant qui s’entoure « des meilleurs » en additionnant la valeur verticale de l’expertise de chacun et en ne comprenant pas que la valeur transversale est aussi importante que la compétence sinon les luttes de pouvoir et d’ego finissent par détruire de la valeur. 

Dans une période de reconstruction, de compréhension d’un nouveau modèle ceux qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui comprennent que la nouvelle normalité ne se calculera plus comme la somme des valeurs fixes de leurs départements mais comme une somme dont les composantes tirent leur valeur de leur interaction entre elles. Le pilotage des organisations ne laissera plus de place aux managers purement techniques tant la nécessité de créer de la valeur par la collaboration deviendra centrale. 

La seconde compétence est celle de la résilience donc de la capacité à surmonter les obstacles et à continuer la progression. Ironiquement, ce terme désignait à l’origine la mesure de la résistance mécanique d’un matériau aux chocs. Dans les organisations lorsque le terme définit des aptitudes humaines, il recouvre la capacité à supporter des changements et à rester opérationnel. La similitude de l’humain avec les matériaux se traduit par les dégâts causés par des chocs répétés. Choc physique pour un objet, choc traumatique pour un individu. In fine, nous retrouvons un objet ou une personne hors d’état de fonctionner normalement. La résilience s’exprime donc par une aptitude mentale à absorber des changements significatifs et à s’adapter à l’incertitude des situations présentes et futures qui surgiront. Nous connaissons toutes et tous des collègues qui ont vécu des traumatismes personnels majeurs, des successions de changements particulièrement impactant et qui gardent cette rafraichissante capacité à se projeter et à faire avancer les projets et les équipes. Par contraste, celles et ceux qui baissent les bras ou semblent tétanisés dès qu’une variable de leur environnement « part en vrille » contribuent à la difficulté en ajoutant un poids inerte dans un moment où l’agilité est de mise. Selon une étude d’avril 2020 du cabinet McKenzie, 33% des consommateurs chinois ont changé de marques durant la crise et 20% d’entre eux adopteront de manière durable les produits de substitution. La résilience pour les entreprises impactées par ces mauvaises nouvelles se traduira par la réinvention de canaux de distribution alternatifs, de changement de la stratégie de marketing mix, par une politique de pricing revisitée ou par des dizaines d’autres actions mais certainement pas par la léthargie qui en temps de crise est fatale. La résilience ne doit pas être confondue avec de la créativité débridée ou avec de l’agilité intellectuelle, elle est cette capacité à pouvoir continuer à mobiliser ses propres énergies et celles de ses collègues alors que l’intensité de la crise ou du traumatisme interfère avec les capacités habituelles à accomplir ses missions.

Ce qui nous mène à la troisième compétence, l’assemblage. Ce terme est rarement utilisé comme tel car il lui est préféré le plus réducteur vocable de collaboration. Mettons-nous en tête l’image du parfumeur qui assemble son parfum en combinant les associations de fragrances des plus classiques aux plus inédites. Puisque la crise a transformé certaines constantes en variables au devenir incertain, celui ou celle qui saura contextuellement associer les éléments disponibles sera une ressource particulièrement demandée. Il découle de cette compétence, la capacité à établir des alliances, tant stratégiques que très opérationnelles. Puisque l’assemblage est la capacité à faire ressortir le meilleur des composantes dans leur ensemble, il devient évident que la dimension comportementale est centrale pour que cette qualité s’exprime. Il s’agit de jeter des ponts, d’engager l’esprit de collaboration et de rendre importuns tous les comportements de rivalité futiles. Le mot écosystème prend tout son sens ici : une communauté humaine en interrelation dans son environnement. Il est essentiel de comprendre que les attitudes et les structures produisent un impact qui se neutralisent ou s’amplifient selon qu’elles sont adaptées à tirer le meilleur de l’écosystème. En particulier dans une période de crise où la gestion fine des coûts peut faire la différence entre la cessation d’activité et un réel futur pour l’entreprise. Prenons l’exemple de politiques rigoureuses de note de frais, de formation des managers, et de process de contrôles qui paraissent être des actions appropriées et assemblons- les avec une culture au sommet de l’entreprise, où certains managers volent en 1ere classe et ne s’appliquent pas les règles qu’ils ont eux-mêmes validés. Vous connaissez la suite, la culture du sommet rend les processus largement inopérants car assemblés à un leadership défaillant. L’intelligence de l’assemblage apporte à l’entreprise une garantie de maximisation et d’adaptation des décisions prises.

Je terminerai sur une dernière dimension qui est la gestion des risques. Les professionnels du risque connaissent parfaitement cette phrase « chacun est un risk-manager », ils connaissent aussi la difficulté de faire percoler une culture opérationnelle du risque dans une organisation. Toujours en cohérence avec les trois compétences citées plus haut, la gestion des risques est multi-formes et on ne peut être efficace dans l’appréhension et la prévention des risques que si l’on comprend que le risque surviendra souvent hors du champ de compétence technique premier où l’on est expert. Le risque humain est le risque présentant la plus grande probabilité de survenance. Vous pourrez peaufiner et revérifier vos protocoles de sécurité, vos règles de désinfection et vos contrôles qualité sur une chaîne de production et vous retrouver avec une catastrophe majeure si vous n’avez pas pris soin de vérifier l’état de santé psychologique de vos collègues. Un vigile qui somnole, un employé de l’IT humilié par un management défaillant et un pilote d’avion sous anxiolytiques sont des bombes à retardement qui peuvent être neutralisées par un regard transversal et un minimum de bienveillance. Le collaborateur ordinaire se réfugiera derrière un « je ne me mêle pas de ce qui ne me regarde pas » tandis qu’une personne consciente de l’interrelation des comportements et des risques, même si elle ne possède ni autorité ni expertise technique dans ce domaine, saura pointer les personnes compétentes dans la bonne direction pour aider.

Si le futur paraît compliqué à appréhender, le leader qui s’entourera de personnes dotées de ces compétences et attitudes, saura lui, réduire grandement les incertitudes opérationnelles et stratégiques.

Olivier DESLANDES
Spécialiste stratégie RH, développement des organisations et transformation. 
Membre expert Swiss HR Patrol