Refuser un transfert n’est pas un motif pour un congé immédiat

Refuser un transfert n’est pas un motif pour un congé immédiat

Après avoir travaillé de nombreuses années à l’étranger, Amir a été nommé directeur régional pour la Suisse avec comme lieu de travail Genève, ce qui lui a permis de rejoindre son épouse. Après six années pourtant, l’employeuse a informé Amir qu’il serait transféré en Jordanie et que son poste à Genève était réattribué. Amir a aussitôt refusé de quitter la Suisse où sa femme était établie. Il ne s’est pas rendu en Jordanie et n’a entrepris aucunes démarches nécessaires à l’entrée en fonction de ses successeurs.

Liberté contractuelle

L’entreprise a par la suite informé une nouvelle fois Amir de son transfert, en date du 16 avril. Le 25 avril, l’employeuse a sommé Amir de procéder à la remise immédiate et complète de son poste à son successeur, en le menaçant de résiliation immédiate en cas de refus. Ne voyant son employé toujours pas bouger, elle a renouvelé son avertissement et lui a donné un nouveau délai au 3 juin. Le 7 juin, elle a licencié Amir rétroactivement au
3 juin en invoquant son absence injustifiée en Jordanie. Amir s’oppose à ce licenciement immédiat rétroactif.

Conformément à la liberté contractuelle, le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié de manière ordinaire avec observation d’un délai de congé, ou de manière immédiate pour justes motifs. Cette dernière est toutefois réservée aux cas où des manquements particulièrement graves ont été commis, lesquels ne permettent pas la continuation de la collaboration. La résiliation avec effet immédiat ne se justifie qu’exceptionnellement et ne peut en aucun cas être rétroactive. En cas de litige, il appartient au juge de déterminer s’il existe un juste motif de résiliation avec effet immédiat.

Dans notre cas, le tribunal a constaté que l’employeuse pratique avec son personnel un «système de transfert tous les trois ans». Ainsi, les cadres employés hors Jordanie sont en principe astreints à changer de poste et de lieu de travail à intervalles de 3 ans et Amir savait qu’il était soumis à ce régime. C’est donc sans surprise que l’employeuse a exigé ce transfert. Mais le tribunal a aussi relevé qu’un changement de poste et de lieu de travail nécessite de spécifier à chaque fois, dans le contexte juridique et économique du nouveau lieu de travail et de séjour, les nouvelles tâches ou fonctions à assumer et les nouvelles conditions d’activité et de rémunération. Il y aura dès lors nécessairement une modification de contrat.

Contrat de travail bilatéral

Dans la mesure où le contrat de travail est bilatéral, celui-ci ne peut être modifié que si les deux parties donnent leur accord. Par ailleurs, les parties jouissent de la liberté contractuelle qui inclut la liberté de ne pas contracter. Ainsi, si comme dans notre cas, l’employé refuse une modification, soit de remplacer le contrat en cours par un contrat différent (dans notre cas le transfert) exigée par l’employeuse, le contrat en cours continue de lier les parties aussi longtemps qu’il n’est pas résilié. Ce refus ne peut pas être considéré comme une violation du premier contrat. L’employeuse aurait par conséquent dû signifier une résiliation ordinaire du contrat de travail, avec observation du délai de congé, aussitôt qu’elle a constaté que la modification du contrat n’obtiendrait pas le commun accord des parties. Le fait d’attendre passivement que l’employé veuille bien changer d’avis et de lui accorder de nouveaux délais pour s’exécuter ne donne aucun droit à l’employeuse.

Juste motif rejeté

Autrement dit, le fait de ne pas donner son accord à une modification de contrat est un droit et ne peut pas être considéré comme un juste motif de licenciement immédiat. La résiliation immédiate est dès lors injustifiée. L’employeuse n’avait d’autre choix que de maintenir le contrat initial ou de le résilier de manière ordinaire.

Nicole de Cerjat
Société suisse des employés de commerce/service juridique