Apprivoiser nos peurs, maillon de notre transformation
Début novembre, le rédacteur en chef d’«ArcInfo» signait un édito intitulé «Il y a de quoi avoir peur». Il lançait un appel à cultiver des valeurs de solidarité, de discipline et de raison pour transcender la peur de cette pandémie qui affole les statistiques et commence à générer des troubles psychologiques importants au sein de la population. Un proverbe allemand du XIVe siècle disait que la peste s’attaque à ceux qui ont le plus peur. De son côté, le philosophe français André Comte-Sponville affirme que «s’il ne faut pas forclore ni dénier la mort, il faut y penser avec nonchalance. Il faut profiter davantage de chaque instant, vivre plus intensément et agir.» Or, cette époque incertaine et anxiogène nous incite à tout le contraire d’une sagesse nonchalante.
C’est le propre de l’homme de céder à ses peurs. La nature humaine est régie par la peur et le désir. Mais d’où cela nous vient-il?
Des peurs imaginaires
Nous arrivons au monde avec des besoins naturels, innés, qui cherchent à être satisfaits pour devenir des êtres humains autonomes. Cependant, nos parents et éducateurs, même dans les conditions de notre société occidentale aisée, ne peuvent pourvoir à chacun de ces besoins, et en particulier ceux pour lesquels ils ont été eux-mêmes en carence. Nous ressentons très tôt que certains éléments clé nous manquent, ce qui déclenche une anxiété profonde. Une peur puissante et inconsciente se développe, en écho à la peur la plus fondamentale de la mort et du néant, de n’être rien. Aucun d’entre nous n’est sorti de l’enfance indemne. Nous commençons alors à nous forger une personnalité qui cherche à compenser ces manques, s’y adapter dans un élan de survie. Elle va venir masquer nos blessures originelles pour nous protéger par différents mécanismes de défense.
Or, la plupart de ces peurs sont aujourd’hui imaginaires, périmées. Mais elles restent néanmoins invalidantes, paralysantes et diminuent fortement notre capacité à agir avec lucidité et humanité. Au sens de l’Ennéagramme (largement reconnues par la psychologie moderne) les «peurs fondamentales» caractérisent les types de personnalité. En réaction, elles font naître chez l’individu un «désir puissant» qui est notre manière de sublimer la peur première.
Alors quelles sont ces peurs fondamentales?
- La peur d’être mauvais et injuste
- de ne pas être digne d’être aimé
- d’être sans valeur intrinsèque
- d’être insignifiant
- d’être incompétent
- sans soutien
- sans aide
Ou encore
- la peur de souffrir
- d’être contrôlé par les autres
- ou de ne pas appartenir à un groupe.
Si ces peurs nous ont aidés à survivre psychologiquement, elles nous ont éloignés de notre essence, de qui on est vraiment. Mais aujourd’hui, elles peuvent nous guider vers les zones de nous-même où nous avons le plus besoin d’un travail de transformation. Il est encourageant de savoir que les expériences de notre enfance, même les plus traumatisantes, ne peuvent endommager notre essence. Il est donc possible de redevenir qui nous sommes vraiment, et contribuer ainsi à des organisations et une société moins conditionnées par la peur. Soit dit en passant, Google a développé il y a quelques années une étude Aristote qui a démontré que parmi 150 de ses équipes, celles qui montraient le plus de performances sont celles qui s’étaient dotées d’une bonne «sécurité psychologique». Ce n’est pas un hasard.
Développer son agilité émotionnelle
Alors comment faire? En développant votre agilité émotionnelle: elle vous permettra d’accueillir vos peurs, de les apprivoiser et d’entendre leur message. En les accueillant, vos émotions feront leur job et disparaîtront rapidement. Sauf si on résiste et si on cherche à les cacher. Elles vont alors taper plus fort à la porte et inventer des tas de stratagèmes pour vous coller à la peau. Voir nos peurs comme des alliées nous permet de surmonter nos blocages émotionnels. Concrètement, cela veut dire déposer sa vulnérabilité, lâcher-prise par rapport à ce qui n’est pas contrôlable, et arrêter de «vouloir se sauver» par soi-même sans aide extérieure. C’est accepter ses limites et sa finitude. Et c’est enfin mettre un nom sur ce que notre mode de vie a appelé «stress», pour identifier nos besoins sous-jacents, nos zones blessées. C’est comme cela que dans nos peurs réside notre plus grand pouvoir de transformation en tant qu’être humain. Et c’est à travers le développement de la conscience de ses dirigeants que les organisations, et donc l’ensemble de la société, va pouvoir se transcender vers un modèle humain plus généreux et durable.
Alors appréhendons nos peurs avec une forme de nonchalance et appuyons-nous dessus pour nous transformer, pour vivre avec plus d’intensité et nous reconnecter à qui nous sommes vraiment. Et vous, connaissez-vous votre peur première?
Philippe Vaneberg
Carole Warlop
Coaching Square Swiss