Le port du masque rend certaines relations de travail difficile

Le port du masque rend certaines relations de travail difficile

« […] à la façon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage, quand nous voulons apprendre à nous connaître, c’est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu’un ami est un autre soi-même.»

Aristote* indique ainsi que la meilleure manière de se connaître est de s’observer dans le visage de l’autre, qui agit comme un miroir. La connaissance de soi ou la capacité d’introspection, n’est pas une évidence. Elle s’acquiert de manière empirique, avec l’expérience. Sans se connaître soi-même, il est difficile de «connaître» les autres. Il est alors complexe d’interagir de manière harmonieuse avec nos semblables. Quand chacun porte un masque, cela devient compliqué…

Notre société occidentale prône à juste titre l’importance du visage à découvert, voire même l’impose, que ce soit parfois dans l’interdiction du voile intégral ou toujours dans celle du casque des motards dans les stations-services ou de la cagoule lors de manifestations. Montrer son visage, c’est se montrer, par conséquent montrer son humanité et, par ricochet, celle de ceux qui nous regardent.

Les défenseurs du climat ou, par exemple, les gilets jaunes de notre voisin de l’ouest bénéficieront-ils cet automne d’un régime d’exception? Les gouvernements interdiront-ils les manifestations en raison de la crise sanitaire? Mais le droit de manifester est un droit constitutionnel qui combine deux libertés fondamentales: la liberté d’opinion et la liberté de réunion. Nous faudra-t-il alors choisir, en tout cas momentanément, entre liberté et «sécurité sanitaire»?

Avant même de réfléchir aux enjeux politiques et sociétaux que cette nouvelle donne sanitaire induit, il suffit de constater l’évolution de notre quotidien en entreprise et d’évaluer les premiers effets relationnels de cette mesure anti-COVID. Seuls les yeux sont encore vivants Croiser les collègues dans les couloirs et ne pas voir leur expression devient usuel. Seuls les yeux sont encore vivants. Si l’on dit qu’ils sont le miroir de l’âme et qu’ils ne mentent pas, ils ne représentent qu’une partie du visage.

Or, c’est le visage dans son ensemble qui traduit les sentiments, les émotions que l’on ressent face à un individu ou à une situation. C’est le visage dans son entier que l’on apprend, par notre expérience sociétale, à interpréter. Avez-vous déjà participé à un entretien «difficile» face à un collaborateur masqué? Cela m’est arrivé récemment. Et cela a été une situation suffisamment désagréable pour ne pas souhaiter la voir se renouveler.

Pourquoi cela? Impossible d’observer les réactions de l’autre, sa perception de mes propos, son assentiment, son adhésion ou son rejet. Impossible d’adapter et de doser mon propre discours en conséquence. Même Skype ou Zoom sont de meilleurs transmetteurs d’émotions qu’un visage masqué en face de vous, si proche et si lointain à la fois. Certains feront montre de dérision en proclamant: «Bienvenue au bal masqué!». Mais nous ne fêtons pas Carnaval 365 jours par an. Et le port du masque aujourd’hui dans les magasins, les transports publics ou les entreprises n’a certainement pas pour vocation de donner la liberté ou la sensualité qu’apporte celui que l’on porte pour aller au bal.

Avant même qu’elle ne se termine, 2020 restera comme une année à part, au cours de laquelle nos relations interpersonnelles auront radicalement changé. Au-delà de la digitalisation, des réseaux sociaux et de leurs déviances, de l’éloignement géographique du télétravail, des séances de plus en plus fréquentes par écrans interposés, de l’importance de l’individualité au détriment du collectif, le coronavirus aura réussi l’exploit de contaminer ce qui nous restait de chaleur et de convivialité: un sourire, une grimace complice, une poignée de main ou même un baiser.

Alors, les yeux dans les yeux, puisqu’il ne nous reste pour l’instant plus que cela, promettons-nous de ne pas tout oublier du monde «pré-COVID», et de retrouver, une fois cette hystérie passée à coups de vaccins et de succès pharmaceutiques, un peu de ce qui fait le sel de notre vie en société.

Isabelle Gessler
Directrice adjointe Clinique romande de réadaptation

*Aristote, Amitié et connaissance de soi
Savez-vous comment on dit «bal masqué» en italien? «Maschera»
ou masacarade…